Avez-vous déjà lu… un roman avec une seule lettre pour titre ?

Nous avons déjà parlé sur ce blog de tentatives poétiques pour réduire un texte à sa plus simple expression (lire ici notre article sur le poème le plus court du monde), mais connaissez-vous un roman dont le titre ne serait composé que d’une seule lettre ? Et s’il y en a plusieurs, serait-il possible de reconstituer un alphabet dans sa bibliothèque uniquement en utilisant la tranche de ces livres ? Et au fait, quel serait l’intérêt, pour un auteur, de nommer son livre ainsi ? Écrire un roman est une lourde tâche, certains écrivains seraient-ils épuisés au point d’être obligés d’inventer des titres si extrêmement laconiques ? Tant de questions essentielles auxquelles nous vous proposons de répondre…

Z_Costa_Gavras
L’affiche du film Z
Q, le bien nommé
Q, le bien nommé

Commençons par nous débarrasser d’une évidence : une des rares lettres de l’alphabet qui soit évocatrice en elle-même, par un jeu de sonorité dont je vous laisse deviner la teneur, est la lettre Q, dont l’auteur Pierre Bisiou s’est emparé pour écrire le titre d’un roman, érotique évidemment (non lu par votre serviteur).
Passons maintenant à Z, roman surtout célèbre par son adaptation cinématographique par Costa-Gavras en 1969. Ce roman policier est fondé sur un événement bien réel : l’assassinat du député Grigoris Lambrakis par deux activistes d’extrême-droite ayant des liens avec le pouvoir local. La lettre Z est l’initial du mot grec zi, signifiant « il vit ». Certains Grecs écrivaient cette lettre sur les murs pour protester contre cet assassinat.

 

H_sollers
H, Sollers
F_Daniel_Kehlmann
F, Kehlmann

Nous pouvons aussi citer F, roman de l’Allemand Daniel Kehlmann écrit en 2013, mais qui a été traduit en français par Friedland… Autre exemple, H, publié en 1973 par Philippe Sollers, roman sans ponctuation ni scansions typographiques, dans lequel ce qui intéresse l’auteur « c’est d’aller chercher au fin fond de son effondrement actuel (là où, comme le dit Joyce d’Ulysse, on n’est plus séparé de la folie que par une mince feuille de papier) ». Nous reviendrons bientôt sur Joyce… Mais pourquoi un tel titre ? Sollers s’en est expliqué dans un entretien avec Jacques Henric :

H, hydrogène, hashisch (Rimbaud établit l’équivalence). Mais aussi cette notation d’Artaud disant qu’au Mexique il a vu un peu partout dégagée par le feu, cette lettre, « le H de la génération en somme ». Rappel du HCE de Finnegans Wake. Dans l’écriture ogamique par entailles le A et le H s’écrivent d’un seul trait et H, huitième lettre de l’alphabet pour nous, devient la première (voir l’étude de Stephen Heath dans Tel Quel 54 en partie consacré à Joyce). H hiératique des hiéroglyphes. H où vous entendez le tranchant du A, son sifflement aspiré. Marque indiquant qu’il s’agit d’opérations portant sur des ensembles et, comme Lacan à raison de le rectifier, la lettre ne désigne pas des ensembles, elle les fait .

Bref, il avait surement de bonnes raisons. Oh, et à propos, encore une référence à Joyce. Nous y reviendrons.

Dans la série des livres-cultes-qui-rassemblent-une-foule-plus-ou-moins-silencieuse-d’admirateurs-plus-ou-moins-secrets, j’ai le plaisir de nommer le fantasque V., roman du non moins fantasque et très énigmatique Thomas Pynchon. Il publia ce roman en 1963, et un grand nombre de lecteurs acharnés se sont pris de passion pour le personnage de Benny Profane, pour la Tierce des Paumés et surtout, pour l’énigme essentielle du livre : qui est V. ?

V lisant V.
V lisant V.
V, Pynchon
V, Pynchon

Cette lettre V, on la retrouvera ensuite dans l’excellent V pour Vendetta, d’Alan moore et David Lloyd, dont le titre est plus long que ne l’imposerait la contrainte de cet article, mais qui fait directement référence au roman de Pynchon, en y ajoutant un sens inédit : ici, le personnage principal (dont le masque de Guy Fawkes a inspiré les Anonymous) se fait appeler « V » en référence à son emprisonnement dans un camp de concentration. En effet, il était interné dans la chambre numéro cinq. En chiffres romains, donc : V.

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W, Perec

Après V, W, bien sûr. W, ou le souvenir d’enfance de Georges Perec est un roman autobiographique magistral nous présentant une alternance entre deux récits : l’un, fictif, présente une société idéale baptisée W, et l’autre, autobiographique, raconte l’enfance de l’auteur. Ces deux récits, très éloignés l’un de l’autre au début, se rapprochent peu à peu pour finir, in extremis, à se rejoindre. Une structure en V, donc.

Et Joyce, dans tout cela ? Ah, oui, attendez un peu de je retrouve la page…

Lisais deux pages de sept livres tous les soirs, hein ? J’étais jeune. Tu faisais une courbette devant la glace, t’avançais, pour recueillir les applaudissements, sérieux comme un pape, très frappant ce visage. Hourra pour l’abruti du dimanche ! Rra ! Personne n’en voyait rien : tu le dis à personne. Les livres que tu allais écrire avec des lettres pour titre. Vous avez lu son F ? Oh oui, mais je préfère Q. Certes, mais W est magnifique. Ah oui, W.

Ulysse, James Joyce, 1922, Gallimard, p. 57 (traduction de 2004).

De là à dire que Joyce a inspiré plus d’un auteur, il n’y a qu’un pas…

… Maintenant oui.

Louis

14 commentaires

  1. Sujet d’article aussi original qu’intéressant, Je me rappelle un titre de livre de science fiction (j’ai oublié en revanche le nom de l’auteur anglosaxon bien que ce roman était très amusant) qui s’intitulait « qwertyuiop », soit les lettres du clavier américain, l’équivalent du azertyuiop français. Mais il n’y avait pas qu’une seule lettre, donc ça ne compte pas…

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    1. En effet, c’est le genre de titre qui peut me plaire ! En faisant quelques recherches pour cet article, j’ai aussi trouvé XY de Simone de Beauvoir, ou encore HHhH de Laurent Binet… Il y a également un manga qui se nomme X. Bref, de quoi se faire une bibliothèque originale !

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    1. Merci beaucoup ! Je ne connais pas ce roman, je me renseignerai. Pour cet article, je me suis limité aux titres de romans avec une seule lettre, parce qu’il y en a énormément qui jouent avec le côté énigmatique ou référentiel de tels titres : 1Q84 de Murakami, XY précédemment cité, etc…

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    1. On ne connaissait pas ces deux œuvres. On va faire une petite mise à jour pour intégrer « G » à l’article. Merci beaucoup !

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      1. Hehe, je m’en doutais… 🙂 Comme j’aime bien chipoter, je dirais que le V. de Pynchon est hors concours aussi à cause de la ponctuation 🙂

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